Se rendre justice soi-même est-il un moyen de combattre l’injustice ?

Article : Se rendre justice soi-même est-il un moyen de combattre l’injustice ?
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26 août 2016

Se rendre justice soi-même est-il un moyen de combattre l’injustice ?

Université Kofi Annan de Guinée, un lundi après-midi. La plupart des étudiants s’apprêtent à rentrer chez eux. Un groupe discute dans la cour. Soudain, des cris retentissent. Puis, surgit un jeune homme visiblement affolé qui court vite, très vite même. Aux cris de « voleur », une foule qui ne cesse de grandir le poursuit. Pas pour longtemps.

Dans sa course, le jeune homme reçoit un coup de pied qui le projette par terre. La foule se rue sur lui. Une avalanche de coups de pieds et de gifles s’abat sur lui. Certains étudiants, n’hésitent pas à faire recours aux bâtons et autres projectiles. La foule est remontée et rares sont les personnes qui essaient de la canaliser. Le chef du département Droit et la sécurité de l’université ont eu tout le mal du monde à extirper le présumé voleur. Il s’en sort avec quelques blessures.

Un étudiant particulièrement remonté après l’évacuation du jeune homme hors de l’université à qui j’ai demandé le motif de cette vindicte populaire m’a répondu: « c’est un voleur qui se fait passer pour un étudiant pour voler. Il a tenté de dérober le téléphone d’un étudiant. Il a été pris la main dans le sac et on devait nous laisser le punir pour ça ». A ces explications, je me suis rendu compte que le présumé voleur a eu beaucoup de chance. Pour moins que ça, des gens ont été brûlés vifs.

Ce genre de scène, j’en ai vécu plusieurs dans les rues de Conakry. Et ça aurait été une banalité si elle ne s’était pas passée dans l’enceinte de la plus grande université de Guinée. Des étudiants, la future élite de ce pays, sont donc capables, à l’image du citoyen de la rue, de lyncher une personne à cause d’un téléphone! Je n’arrive toujours pas à le croire.

Comment expliquer la recrudescence de ces actes particulièrement choquants ?

Depuis un certain temps, on constate l’augmentation de ce genre d’actes en Guinée (une demi-dizaine de cas rapportée par la presse ces derniers mois). Il y a quelques mois, deux présumés voleurs d’origine nigériane ont failli être brûlés vifs dans mon quartier et sous mes yeux. Seule la proximité d’un commissariat de police les a sauvés. Quelques jours avant, dans la périphérie de Conakry, deux autres présumés voleurs ont eu moins de chance. Ils ont été calcinés par une foule déchainée et sadique. Les choquantes images ont faits le buzz sur les réseaux sociaux.

Presque toutes les personnes qui se font justice justifient leur comportement par leur refus de l’injustice. Car selon elles, les voleurs et autres criminels ne sont et ne seront pas sanctionnés à hauteur des faits commis par la justice. Ils ne sont donc pas prêts à laisser l’Etat s’occuper de ceux qui leur ont fait du tort.

Il y a quand même une grande part de vérité dans leur propos. Les services de sécurité et la justice par leur corruption et leur inefficacité ont perdu la confiance de presque tous les citoyens. Les populations ont particulièrement du mal à supporter le regard narquois que leur lancent les criminels qu’elles ont arrêtés mais que la justice ou la police a mis en liberté quelques jours après. Mais cela ne peut en aucun cas justifier la cruauté avec laquelle les voleurs et autres criminels, qui ont le malheur d’être pris, sont traités dans les rues du pays.

Quelles différences il y a entre le malfrat qui brigande ou tue et le citoyen lambda qui le brûle vif sur la chaussée ? A mon avis, aucune ! Ce sont tous des hors-la-loi qui méritent que la rigueur de la loi s’abatte sur eux. Pour ce faire, l’Etat guinéen doit tout faire pour crédibiliser sa justice et de ses forces de sécurités et les rapprocher des citoyens.

Pourquoi il ne faut pas se faire justice ?

C’est une évidence. Un pays où chaque citoyen a le droit de réparer lui-même les torts qu’il subit est une jungle. Où c’est le plus fort qui règne. Raison pour laquelle la loi donne à l’Etat seulement le droit de punir les abus que commettent ses citoyens dans un Etat de Droit.

L’autre raison, c’est qu’on risque fort de commettre une injustice en voulant réparer soi-même le préjudice dont on a été victime. L’exemple, je l’ai eu il y a plusieurs mois. Un adolescent harcelait une autre adolescente via les réseaux sociaux. Celle-ci, exaspérée, lui a donné un rendez-vous qui était en réalité un guet-apens. Dès qu’elle a eu la certitude qu’il s’agissait du harceleur, elle a crié au voleur. Pris de panique, l’adolescent prit la fuite. Il sera rattrapé par des citoyens qui dans leur volonté de faire justice n’ont pas cherché à comprendre et l’ont sérieusement molesté. C’est bien plus tard qu’ils se sont rendu compte de leur bavure. Trop tard!

Il est donc évident que se faire justice soi-même ne combat pas l’injustice mais la renforce. On ne lutte pas contre l’injustice, en commettant d’autres injustices.

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