Yaguine et Fodé : 17 ans après, la pauvreté ronge toujours l’Afrique
Le 28 juillet 1999, Yaguine Koita, 15 ans, et Fodé Tounkara, 14 ans, perdaient la vie dans le train d’atterrissage du vol 520 de la compagnie Sabena, qui assurait la liaison Conakry-Bruxelles. Les deux adolescents guinéens caressaient le rêve de rallier l’Europe pour y vivre, et ainsi échapper à la pauvreté. Cette affaire avait suscité un emballement médiatique et une grande émotion. Les médias occidentaux, comme France 3, avaient parlé d’un « drame qui rappelle toute la misère et la détresse du tiers-monde ».
Avant tout, c’est la lettre, en forme de testament, retrouvée sur leurs dépouilles, qui a marqué les esprits. Ils y parlent de la misère et appellent les « excellents membres et responsables d’Europe » à aider l’Afrique à sortir de la pauvreté. 17 ans jour pour jour après, leur appel a été ignoré. La famille de Fodé Tounkara, qui vit actuellement dans une grande misère, symbolise plus cette Afrique à laquelle on a promis de l’aide mais qui continue à vivre dans la pauvreté.
Les conditions de vie se sont dégradées
C’est un homme plein d’amertume qui m’accueille à ma descente du taxi. Sékou Tounkara, la trentaine, est l’un des frères de Fodé Tounkara. Mécanicien, marin de formation, il peine à trouver un emploi. Il accepte de me faire partager pendant quelques heures le quotidien de sa famille.
Pour rallier le domicile des Tounkara dans le quartier Yimbaya Ecole, à défaut de s’offrir les services d’un taxi moto, il faut être prêt à marcher près d’un kilomètre, longer des couloirs et traverser plusieurs concessions (comme dans tous les quartiers populaires qui se respectent). La concession, une chambre en réalité, qui accueille les 7 membres de la famille se trouve au fond d’une « cour commune » surpeuplée. Le visiteur remarque tout de suite la promiscuité qui y règne.
Ayant sans doute senti ma gène, M. Tounkara engage la conversation. « Vous savez M. Diallo, ce n’est pas ici que l’on habitait. Quand Fodé vivait, on avait une maison plus grande non loin de là et on s’arrangeait pour payer le loyer. Mais, plusieurs mois après le drame, notre concessionnaire a pensé que les Belges nous avaient donnés beaucoup d’argent et qu’on refusait de payer le loyer à temps. Il a alors décidé de nous expulser. Mais comme on refusait, il a enlevé le toit de la maison. On ne pouvait plus rester. C’est alors que, dans l’urgence, j’ai trouvé ce logement ». Il insiste pour que je rentre visiter. La chambre, d’environ 5 mètres carrés, ne peut contenir tout le monde. Alors lui, il dort dans le petit couloir qui mène à la chambre.
Une fois installé sur la petite terrasse, M. Tounkara m’ouvre ses archives essentiellement constituées de coupures de journaux belges et guinéens parlant du drame, des photos de Yaguine et Fodé. Il y avait aussi une copie de la lettre que les deux adolescents ont écrite aux dirigeants européens. J’avais entendu parler de cette lettre, mais c’est la première fois que je la lisais entièrement. J’ai eu la chair de poule. Mes larmes ont coulé. Les mots et les expressions en “français guinéen” que j’ai lu, m’ont donné l’impression de lire une lettre écrite par toute la jeunesse guinéenne des années 90-2000 qui pensait que l’Europe pouvait régler nos problèmes. Quelle naïveté!
Une mère qui peine à se remettre
A mon arrivée, M. Tounkara m’a présenté à leur mère, Dameyé Kourouma. Assise par terre sur des sacs vides, elle mettait du charbon dans de petits sacs plastiques. De son vivant, Fodé l’aidait à cueillir les feuilles de patates qu’elle vendait. Et le jour où il n’avait pas cour, il partait l’aider au marché. Depuis la mort de ce fils, elle vit un calvaire. Aller au potager, hantée par les souvenirs de son fils, est synonyme de grande tristesse. Même la simple vue de feuilles de patate lui rappelle les souvenirs. Finalement, elle s’est reconvertie dans le commerce du charbon de bois qui rapporte pourtant moins.
Pourtant, après le drame, une ONG belge est venue. Elle a offert deux bourses d’études en Belgique pour deux membres de chaque famille, histoire de les aider à sortir de la pauvreté. Mais si la famille de Yaguine Koita a pu envoyer un de ses membres pour étudier en Belgique, ce n’est pas le cas de la famille Tounkara. Sékou Tounkara est formel : les deux bourses ont été détournées par des cadres guinéens. « J’ai passé deux ans, me raconte-t-il, sans étudier, à cause de ces bourses. Mais on me faisait tourner entre le ministère de la Sécurité et la direction de la Police Judiciaire. J’ai finalement laissé tomber ».
Occasion manquée
Exaspéré par la frustration et la pauvreté, M. Tounkara a décidé d’attaquer en justice la défunte compagnie Sabena. Il a été débouté. Les grands avocats de Bruxelles Airlines (qui a repris la Sabena), dont l’ancien ministre de la Justice Me Christian Sow n’ont eu aucun mal à obtenir cette victoire judiciaire.
La situation actuelle de la famille Tounkara illustre bien l’échec des différents plans de lutte contre la pauvreté dans notre pays. En 17 ans, cette famille s’est paupérisée. Mais au-delà de tout, les familles martyrs auraient dû être aidée à sortir de la misère ne serait-ce que pour le symbole.
Dans leur lettre, Yaguine et Fodé demandaient de l’aide aux dirigeants européens. « C’est pour votre solidarité et votre gentillesse que nous vous appelons au secours en Afrique. Aidez-nous, nous souffrons énormément en Afrique, aidez-nous, nous avons des problèmes et quelques manques de droits de l’enfant ». Les dirigeants européens ont fait semblant de comprendre mais, en réalité, n’ont pas beaucoup fait pour aider l’Afrique. Ils ont plutôt continué à l’exploiter. C’est sûr aujourd’hui que si Yaguine et Fodé n’avaient pas embarqué dans l’avion de la Sabena, ils seraient en train de tenter de franchir la Méditerranée. Car au fond presque rien n’a changé dans nos pays. La faute n’est pas aux Européens mais à nos dirigeants. Mais, j’ai espoir tout de même, car contrairement aux deux adolescents, la jeunesse africaine d’aujourd’hui a compris que ni l’Europe, ni l’Amérique ne viendra chasser la misère de l’Afrique à la place des Africains.
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