Alfa Diallo

Partager les expériences pour pallier aux insuffisances individuelles

La blogosphère guinéenne s’est donné rendez-vous à la Bluezone de Kaloum ce samedi 23 mai pour échanger. C’était à l’occasion du Blog camp 224 organisé par l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI). Les blogueurs guinéens des plus expérimentés aux nouveaux ont, durant plusieurs heures, partagé leurs expériences sur la gestion éditoriale et technique d’un blog. Le caractère informel presque familier des échanges m’a particulièrement plu et permis de trouver des solutions aux problèmes que je rencontre quotidiennement dans la gestion de mon blog.

Dans les différentes présentations des participants, il est ressortit que la plupart d’entre eux ont commencé le blogging en 2014. Preuve que la blogosphère guinéenne est très jeûne. Cela s’explique par le fait que l’internet a été jusqu’à très récemment un luxe inaccessible pour la plupart des jeunes guinéens. La question de la formation est donc cruciale. D’ailleurs, beaucoup participants avouent rencontrer beaucoup de difficultés, liées notamment à la gestion technique de leurs blogs.

Au-delà de ces blogueurs confirmés, l’ABLOGUI a aussi pensé aux jeunes novices dans le blogging. En marge de ce Blog Camps, l’association a organisé une formation à leur intention. Plus formelle, celle-ci leur a permis d’approfondir leurs connaissances dans ce domaine.

Les membres de l’ABLOGUI ont invité à ce Blog Camp les deux hommes politiques guinéens les plus actifs sur les réseaux sociaux. Il s’agit de Moustapha Naité, ministre de la jeunesse et du Dr Fodé Oussou Fofana, président du groupe parlementaire des libéraux-démocrates. C’était plus tôt amusant et étonnant de voir ces deux personnalités issues de bord politiques très opposés sympathiser devant les jeunes. C’était une bonne leçon pour les adeptes de la violence et autres extrémistes de leurs camps politiques respectifs.

Une invitation a aussi été envoyée au ministre des télécommunications et des Nouvelles Technologies de l’Information. Mais malheureusement, pour une raison inconnue, celui-ci s’est fait représenter par un fonctionnaire de son ministère. Ce qui a provoqué la colère des blogueurs. Le président par intérim de l’association, Fodé Sanikanyi Kouyaté n’a pas caché son mécontentement. Dans son discours devant le fonctionnaire du ministère des NTIC et les autres politiciens, il a fustigé le comportement des ministres plus prompts à animer des rencontres folkloriques à la gloire du président. J’étais admiratif devant ce discours sans langue de bois. Preuve que les jeunes guinéens n’ont plus l’intention de plier l’échine et laisser leurs dirigéants se comporter comme ils veulent.

Dans nos échanges, l’expérience du mondoblogueur Alimou Sow, qui a remporté le prix du meilleur blog francophone 2012 décerné par la Deutsch Well, nous a été très utile. Il a fait un bref exposé sur bittly pour raccourcir les liens, et Wordle pour créer des illustrations avec des mots. Les autres mondoblogueurs ont aussi partagé leurs expériences, notamment sur l’utilisation des vidéos.

Des débats passionnants sur différents sujets liés au blogging ont rythmé les échanges entre les participants au blog camp. Je vous en propose quelques-uns.

Le titre doit-il être rédigé avant ou après le billet ?

Les échanges autour du titre d’un billet de blog ont été longs. Comment doit être un titre ? Un consensus s’est formé autour des mots incitatifs, attirants et originaux. Doit-il être rédigé avant ou après le billet ? Il y a eu deux tendances. La première soutient qu’avant de rédiger son billet, le blogueur doit avoir son titre en tête. Ainsi celui-ci dévient pour lui le guide qui lui permettra aller droit au but sans divaguer. Pour la seconde tendance, le blogueur ne doit savoir que son sujet, à la limite son angle. C’est seulement après la rédaction qu’il doit penser au titre. Comme l’a dit un participant, je pense qu’il s’agit d’une question d’habitudes. Les uns et les autres gagneront beaucoup à expérimenter toutes les techniques pour trouver la mieux adaptée à leurs situations.

Reprendre sur son blog un article d’une autre personne en citant la source est-il du plagiat ?

C’est non pour le premier point vu. Le plagiat est le fait de s’approprier l’œuvre intellectuelle d’une personne et de la présenter comme sienne. On ne peut pas parler de plagiat dès lorsque la source de l’article est citée. Le second point de vue, sans parler directement de plagiat pose des interrogations. Qu’est ce qui peut motiver un blogueur dont le crédo est la création et l’originalité à reprendre le travail d’une autre personne? Les défenseurs de ce point de vue pensent qu’une telle pratique tue la créativité et est répréhensible si l’auteur n’a pas donné l’autorisation de reprendre son travail. Des blogueurs ont dénoncé le comportement de certains médias qui reprennent leurs billets sans leur autorisation et parfois sans même mentionner la source.

Personnellement, je suis du second point de vue. Si la publication d’un article écrit par une tierce personne est indispensable pour un blogueur, il serait mieux de solliciter l’autorisation de l’auteur ou publier quelques lignes et y inclure le lien de l’article. Le plagiat est une pratique très répandue dans la presse guinéenne. RFI et Jeune Afrique en savent quelque chose. Et malheureusement certains blogueurs ont pris l’habitude de se livrer à cette pratique devenue banale à leurs yeux.


Combien d’âmes ont été englouties dans des manifestations de rue cette dernière décennie en Guinée ? De la dizaine de morts en juin 2006 dans la contestation lycéenne, aux plus de 150 tués dans le massacre du 28 septembre 2009, en passant par la centaine de jeunes tués lors de la grève de janvier 2007, personne ne saura vous le dire avec exactitude. C’est une évidence, l’Etat guinéen et ses dirigeants ont toujours eu la main très lourde dans la répression des contestations.

Pourtant, l’espoir que cette impitoyable et systématique répression cesse était permis avec l’arrivée au pouvoir du Pr Alpha Condé, opposant historique pendant longtemps persécuté. Cinq ans après, l’heure est au désenchantement pour moi. Surtout que ce vendredi 15 mai 2015, j’ai assisté à l’inhumation des 63ème et 64ème jeunes tués dans les manifestations de rue de l’opposition sous la présidence de l’ancien opposant. Les six marches organisées par les opposants depuis le 20 avril pour demander l’inversion du calendrier électoral, se sont soldées par une demi-dizaine de morts. Le scénario se répète. Sauf que ce n’est plus la garde présidentielle qui tire sur les manifestants, mais la police et la gendarmerie nationale.

Après chaque manifestation, les partisans de l’opposition et ceux du pouvoir se livrent une véritable bataille médiatique autour du bilan et des circonstances de la mort des manifestants. Quand les premiers ne font qu’accuser en se dédouanant de toute responsabilité, les seconds nient tout en bloc. D’ailleurs, pour ces derniers, les forces de l’ordre ne sont jamais armées lors des manifestations et ne tirent donc pas. C’est plutôt les manifestants armés de fusils de chasse, d’armes blanches et de frondes qui agressent les forces de l’ordre. Au-delà de cette polémique, tous les observateurs connaissent la réalité. La police et la gendarmerie tirent parfois sur des manifestants le plus souvent très violents. Et cela sans qu’aucune enquête impartiale ne soit menée pour situer les responsabilités des uns et des autres.

Pire, certains hauts responsables versent carrément dans le déni. J’ai été choqué par les propos du président de la république sur une chaine internationale après la mort d’un jeune dans une manifestation. Dans l’interview de quelques minutes, Alpha Condé a systématiquement défendu les forces de l’ordre qui selon lui font du « maintien d’ordre civilisée ». Il a continué cette prise de position jusqu’à nier la mort du manifestant pourtant annoncée par la presse nationale et internationale. Il s’était tout simplement ridiculisé et décrédibilisé devant de nombreux guinéens. Pour moi c’était claire, on ne pouvait tout simplement pas compter sur le premier magistrat du pays pour élucider cette affaire et punir les coupables de la forfaiture.

Ce qui m’écœure surtout, c’est la mollesse et la passivité devant cette situation de la société civile et de la plupart de mes compatriotes de plus en plus aveuglés par les passions politiques et ethniques. Pour moi, le mutisme de certaines personnalités non politiques s’apparente à une prise de position, car comme le dit Desmund Tutu «si vous êtes neutre dans des situations d’injustice, vous avez choisi le camp de l’oppresseur ».

Nous ne sommes plus en janvier 2007 sous un régime militaire et dictatorial. Nous en 2015 dans un régime démocratique à la tête duquel se trouve un ancien professeur de Droit en France, « le pays des droits de l’homme ». Aucune personne ne doit mourir en manifestant (droit octroyé par la constitution) !

C’est simplement inacceptable que les guinéens continuent à croiser les bras devant la mort inexpliquée de certains de leurs fils dans les rues. L’assassinat des citoyens guinéens doit être la nouvelle ligne rouge qu’aucun dirigeant ne doit franchir.

Le décompte macabre doit être immédiatement arrêté par la volonté de tous les guinéens à changer cette situation. Leur insistance doit forcer les acteurs politiques à dialoguer de façon sincère pour trouver la solution à tous les problèmes et ainsi abandonner la violence. Cette même insistance doit obliger les gouvernants à inculquer aux forces de l’ordre le respect de la vie humaine. Et cela en apprenant à ces derniers que les manifestants, quelques soient leurs agissements, sont des citoyens qu’il faut protéger. Quant aux manifestants, il faut leur apprendre à voir les forces de l’ordre comme des protecteurs et surtout des garants de l’ordre public auxquels, il ne faut surtout pas s’en prendre. Il y va de l’avenir de la nation démocratique que nous envisageons de bâtir. Car la violence appelle toujours à plus de violence.


La Croix-Rouge Guinéenne, bourreau et victime d’Ebola

Ce 08 mai 2016, la Croix-Rouge Guinéenne (CRG) a célébré dans la sobriété, la journée internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Le moment idéal pour revenir sur le grand et très difficile travail abattu par cette institution pour contrer l’épidémie d’Ebola et sur les conséquences néfastes de l’épidémie sur son image auprès du guinéen lambda.

Tout le monde le sait, aucune structure (étatique ou non) n’était prête en Guinée pour faire face à une épidémie comme Ebola. D’ailleurs personne n’attendait ce maudit virus dans cette partie de l’Afrique. Mais, malgré cette impréparation totale, la Croix-Rouge Guinéenne (CRG) est apparue comme la seule structure guinéenne capable d’apporter une réponse rapide à l’impitoyable virus.

Il faut reconnaître qu’en plus de 30 ans d’existence, la CRG a l’habitude des grandes épidémies. La dernière épidémie de choléra (qui a des ressemblances avec Ebola) remonte à 2012. Pour avoir participé à cette lutte de 2012 avec le comité communale de la Croix-Rouge de Dixinn (l’un des communes de Conakry touchées) et aux côtés d’Action Contre la Faim, je sais que ça n’a pas été une partie de plaisir.

C’est cette expérience acquise au fur des années qui a fait de la CRG, la cheville ouvrière de la lutte contre la nouvelle épidémie. Avec environ 2000 volontaires sur toute l’étendue du territoire national (dont la plupart sont formés en gestion de dépouilles), l’institution a pris en charge la partie la plus délicate de la lutte : la gestion des corps des personnes mortes d’Ebola.

Dans cette optique, l’organisation humanitaire a installé des « Equipes D’enterrement Sécurité » (EDS) dans tous ses comités communaux et préfectoraux. Ces équipes sont chargées de faire toutes les inhumations liées à Ebola, avec pour objectif final d’empêcher la propagation de la maladie lors des enterrements. Mais face à des populations encrées dans leur coutume et qui tiennent plus que tout à leurs rites funéraires, les agents de la CRG ont eu du mal à atteindre cet objectif. D’où la persistance de l’épidémie.

La CRG a aussi été l’un des principaux bourreaux d’Ebola en sensibilisant les populations sur la nouvelle maladie. Et, contrairement à beaucoup d’ONG qui ont avant tout vu le bénéfice financier qu’elles pouvaient tirer de leur implication dans l’information de la population, sa sensibilisation a eu de l’impact à l’intérieur du pays délaissé. Grace à ses efforts conjugués avec ceux des autres structures comme Médecins Sans Frontière et la Coordination Nationale de la Lutte Contre Ebola, l’épidémie d’Ebola a considérablement perdu du terrain. Mais à quel prix pour la CRG ?

Chargée de faire le « sale » mais nécessaire boulot, la Croix-Rouge a été traitée de tous les noms. Les rumeurs les plus folles et les plus délirantes continuent encore à circuler à son sujet. Malheureusement, l’analphabétisme de la majorité de la population et le climat de psychose et de crise de confiance entre l’Etat et les citoyens, font que de nombreux guinéens croient au sens strict du terme à ces rumeurs.

Je pense à celle ayant accusé les agents de la CRG de pulvériser le virus dans les écoles. En l’espace de quelques minutes, une grande panique s’était emparée des habitants de Conakry qui ont pris d’assaut les écoles pour retirer leurs enfants. La même rumeur a provoqué les mêmes scènes dans certaines villes de l’intérieur du pays, quelques jours plus tard. Je me rappelle avoir été une fois pris à partie dans un taxi pour avoir réfuté une rumeur accusant la Croix-Rouge d’achever les malades d’Ebola en leur coupant la tête. J’ai compris que la sévérité du virus a fait perdre la raison à beaucoup de compatriotes.

Victimes d’intoxication, certains citoyens se sont montrés violents contre les agents et les installations de la CRG. Plusieurs de ses comités préfectoraux ont été saccagés. Par exemple, un de ses agents a échappé de peu à un lynchage dans la préfecture de Forécariah. Mais cela n’a pas suffi à décourager les autres agents qui se rapprochent de plus en plus de la victoire finale contre l’épidémie.

Le gros du travail pour contrer Ebola est déjà fait par les acteurs sur place (il ne reste qu’une dizaine de cas dans tout le pays). Il est évident pour moi que la CRG n’a été remarquable dans la longue bataille contre Ebola que du fait de sa préparation à affronter tous les problèmes humanitaires probables en Guinée (Ebola exclut). Et déjà, la CRG a pris les devants en initiant, avec l’aide du Japon, la construction d’un centre permanent de formation de ses volontaires dans la lutte contre toutes les épidémies (y compris Ebola). Comme pour dire que l’institution humanitaire ne veut plus se laisser surprendre.


Prolifération des mouvements de soutien politique: halte à la démagogie !

Quand un guinéen lambda fait allusion au CRAC ou à JAVA, les citoyens cultivés du monde comme vous, comprendront sans doute, CRAC comme crack, c’est-à-dire un stupéfiant à base de cocaïne et JAVA comme une île composant l’Indonésie. A contrario, ses compatriotes qui suivent l’actualité politique nationale n’auront aucun mal à déchiffrer CRAC comme, Comité pour la Réélection du président Alpha Condé et JAVA comme, Jeunesse Active pour la Victoire d’Alpha, deux mouvements parmi la centaine qui soutiennent le président guinéen pour les élections de 2015.

Il faut dire que ces dernières années, la création de mouvements de soutien politique est devenu un véritable sport national dans lequel des personnes désireuses de s’afficher avec l’espoir d’obtenir une récompense politique rivalisent d’ardeur pour se faire remarquer.

Je ne suis pas contre le fait que des citoyens créent des mouvements pour soutenir une personne ou une cause. Cela est un signe de la vivacité de notre démocratie. Ce qui me sidère, c’est caractère démagogique flagrant, affairiste et très souvent extrémiste de ceux-ci. Avec des noms aussi originaux, bizarres que farfelus, ces mouvements sont le plus souvent le fruit de calculs politiques et des ambitions démesurées de certaines personnes. D’ailleurs je ne peux m’empêcher de sourire après avoir entendu le nom de mouvements comme: Akafo, Akakè (littéralement en langue malinké, il l’a dit, il l’a fait) faisant allusion aux « promesses tenues » du président ; Mouvement un Coup K.O ; Mouvement Alpha Soleil ; Mouvement après lui, c’est lui…

Le modus opérendi est presque le même pour tous. Ils sont cadres, jeunes responsables associatifs ou simple citoyens et se réunissent dans une structure autour d’une personnalité en vue (la plupart du temps un cadre ou un homme d’affaire) désireuse de prouver son amour pour le grand manitou. Rapidement, un nom est trouvé pour la structure et une cérémonie de lancement (conférence de presse, tournoi de football…), à laquelle ils invitent des ministres qui distribueront des liasses de billets, est organisée. Des banderoles sur lesquelles se trouvent des slogans provocateurs sont affichées dans les endroits les plus visités ville et les médias sont pris d’assaut pour flagorner et justifier toutes les décisions et actes du gouvernement. On est carrément plus loyaliste que le roi!

Certains de ces mouvements vont jusqu’à organiser des contre-manifestations et aider les forces à réprimer les marches de l’opposition. C’est le cas des soi-disant Chevaliers de la République qui ont fait parler d’eux lors des manifestations de 2013. Ils ont été même accusés d’avoir attaqué le domicile le chef du plus grand parti de l’opposition. De grandes violences en ont résulté.

Du côté de l’opposition, on assiste aussi à la création de mouvements, mais pas du tout au même rythme. Manquant de moyens, rares sont ceux qui sont actifs. Le Mouvement Tout sauf Alpha en 2015 (TSA) crée par le député de Kaloum en 2014 est sans doute le seul capable de rivaliser avec ceux du parti au pouvoir. Mais comme les autres, le nom de celui-ci, qui met trop l’accent sur la personne du président, et sa virulence me dérangent et me poussent à m’interroger : les guinéens veulent-ils tout sauf Alpha Condé ou quelqu’un qui fera mieux que celui-ci ?

En observant tous ces mouvements de soutien sur le terrain, l’observateur averti se rend aisément compte qu’ils desservent plutôt le camp présidentiel. Car composé de personnes réputées opportunistes aux yeux des populations, ils ne peuvent beaucoup mobiliser malgré les grands moyens dont ils disposent. Les élections légistratives de 2013 en sont une parfaite illustration. Le parti au pouvoir a perdu le scrutin uninominal dans les cinq communes de Conakry.

Je pense que ces mouvements démagogiques à travers leurs agissements desservent profondément la démocratie. Et a quelque mois des élections présidentielles, les autorités doivent se montrer fermes dans la prise de sanctions contre tout agissement antirépublicain. Un célèbre analyste politique guinéen a trouvé le qualificatif de « business man de la crise » pour désigner toute cette myriade de structures qui ne peuvent s’épanouir que dans un climat de crise, d’adversité et de défiance entre les acteurs politiques.


Le livre, un secteur délaissé par les autorités guinéennes

Les 23, 24 et 25 avril s’est tenue la 7ème édition des 72 heures du livre à Conakry. Durant ces trois jours, le livre était au cœur des préoccupations des pouvoirs publics et acteurs du secteur présents au Centre Culturel Franco-Guinéen et à la Bluezone de Kaloum. L’occasion pour moi de m’interroger sur ce secteur très important pour l’avenir de la nation, pourtant situé loin des priorités de nos gouvernants.

Je l’avoue, la situation dramatique du livre et celle de la desserte en électricité alimentent ma rancœur contre tous ceux qui ont dirigé mon pays et ceux qui le dirigent actuellement. Je ne peux comprendre leur désinvolture face à toutes ces universités sans livres, à toutes ces villes sans bibliothèques. Le discours fleuve du premier ministre, Mohamed Said Fofana, à l’ouverture de ce grand rendez-vous du livre dans lequel il promet, une nouvelle fois encore, des bibliothèques publiques à l’intérieur du pays, n’a rien diminué à mon amertume. Qu’aurait-il pu faire d’autre que des promesses? Depuis 4 ans que son gouvernement est en place, très rares sont les actions concrètes qu’il a entrepris pour rendre plus accessible le livre.

Dans un pays comme la Guinée, où la pauvreté est présente partout, l’installation de bibliothèques publiques est, selon moi, le moyen le plus facile de donner aux jeunes la chance d’accéder aux livres. Sur ce plan, les autorités se sont quasiment désengagées. Visitez la bibliothèque nationale de Guinée et vous comprendrez ma frustration. D’ailleurs, la situation du livre est à l’image de cette bibliothèque, qui depuis 1987 n’a pas de local adéquat et était fermée au public. C’est seulement en 1999 qu’elle a été affectée dans un bâtiment du vétuste musée national de Sandervalia et a recommencé à recevoir le public. Aujourd’hui, on parle de la construction d’un nouvel édifice pour l’abriter, mais déjà une bonne partie de ses documents historiques s’est détériorée.

Conséquence de l’incurie des pouvoirs publics, les rares bibliothèques disponibles et répondant aux normes à Conakry ont toutes vues le jour et fonctionnent grâce à l’aide de pays étrangers. Il s’agit principalement de la bibliothèque du Centre Culturel Franco-Guinéenne et de celle de l’ambassade américaine. On ne parle presque pas de bibliothèques scolaires. Seuls quelques grands établissements privés ont les moyens d’offrir une petite bibliothèque à leurs élèves. Pour les autres élèves moins chanceux, le livre se limite aux quelques manuels qu’ils ont eu à feuilleter en classe. Les romans et essais des écrivains guinéens et étrangers sont un luxe pour ces apprenants. Les bacheliers ayant fait tout leur cycle secondaire, sans avoir intégralement lu un seul roman, ne sont pas rares. Que dire de toutes ces universités privées ne disposant même pas d’une salle de lecture ? La situation est alarmante et m’inquiète beaucoup.

Je le dis tout net, si contrairement au cinéma, on continue à encore parler du livre en Guinée, ce n’est pas grâce au gouvernement, dont le souci se situe à mille lieux de la construction d’infrastructures permettant aux guinéens de lire. Cela est à mettre à l’actif du dynamisme de structures non étatiques, comme la maison d’édition Harmattan Guinée qui organise les 72 heures du livre et se bat pour réduire le prix des livres pour les guinéens. Les associations, qui se battent pour construire des bibliothèques communautaires à l’intérieur du pays et pour promouvoir la lecture chez les plus jeunes, y sont aussi pour beaucoup.

Deeriye, personnage principal du roman « Sésame ferme-toi » du somalien Nuruddin Farah affirmait « …maintenez le peuple sous informé, afin d’en être les maîtres ; séparez les gens en les informant séparément ; dressez des barreaux d’ignorance autour d’eux, emprisonnez les dans les fers de l’ignorance et ils seront faciles à gouverner… ». C’est par cet angle que je vois l’attitude de nos gouvernants. Ils ont peur de favoriser l’émergence d’une nouvelle catégorie de jeunes citoyens informés et formés qui constituera une menace certaine pour eux. Ils veulent des gens qui continueront à les applaudir quelque soit ce qu’ils diront.


Yaguine et Fodé : 17 ans après, la pauvreté ronge toujours l’Afrique

Le 28 juillet 1999, Yaguine Koita, 15 ans, et Fodé Tounkara, 14 ans, perdaient la vie dans le train d’atterrissage du vol 520 de la compagnie Sabena, qui assurait la liaison Conakry-Bruxelles. Les deux adolescents guinéens caressaient le rêve de rallier l’Europe pour y vivre, et ainsi échapper à la pauvreté. Cette affaire avait suscité un emballement médiatique et une grande émotion. Les médias occidentaux, comme France 3, avaient parlé d’un « drame qui rappelle toute la misère et la détresse du tiers-monde ».

Avant tout, c’est la lettre, en forme de testament, retrouvée sur leurs dépouilles, qui a marqué les esprits. Ils y parlent de la misère et appellent les  « excellents membres et responsables d’Europe » à aider l’Afrique à sortir de la pauvreté. 17 ans jour pour jour après, leur appel a été ignoré. La famille de Fodé Tounkara, qui vit actuellement dans une grande misère, symbolise plus cette Afrique à laquelle on a promis de l’aide mais qui continue à vivre dans la pauvreté.

Les conditions de vie se sont dégradées

C’est un homme plein d’amertume qui m’accueille à ma descente du taxi. Sékou Tounkara, la trentaine, est l’un des frères de Fodé Tounkara. Mécanicien, marin de formation, il peine à trouver un emploi. Il accepte de me faire partager pendant quelques heures le quotidien de sa famille.

Pour rallier le domicile des Tounkara dans le quartier Yimbaya Ecole, à défaut de s’offrir les services d’un taxi moto, il faut être prêt à marcher près d’un kilomètre, longer des couloirs et traverser plusieurs concessions (comme dans tous les quartiers populaires qui se respectent). La concession, une chambre en réalité, qui accueille les 7 membres de la famille se trouve au fond d’une « cour commune » surpeuplée. Le visiteur remarque tout de suite la promiscuité qui y règne.

La maison des Tounkara dans le quartier Yimbaya.
La maison des Tounkara dans le quartier Yimbaya. Crédit photo : Alfa Diallo

Ayant sans doute senti ma gène, M. Tounkara engage la conversation. « Vous savez M. Diallo, ce n’est pas ici que l’on habitait. Quand Fodé vivait, on avait une maison plus grande non loin de là et on s’arrangeait pour payer le loyer. Mais, plusieurs mois après le drame, notre concessionnaire a pensé que les Belges nous avaient donnés beaucoup d’argent et qu’on refusait de payer le loyer à temps. Il a alors décidé de nous expulser. Mais comme on refusait, il a enlevé le toit de la maison. On ne pouvait plus rester. C’est alors que, dans l’urgence, j’ai trouvé ce logement ».  Il insiste pour que je rentre visiter. La chambre, d’environ 5 mètres carrés, ne peut contenir tout le monde. Alors lui, il dort dans le petit couloir qui mène à la chambre.

Une fois installé sur la petite terrasse, M. Tounkara m’ouvre ses archives essentiellement constituées de coupures de journaux belges et guinéens parlant du drame, des photos de Yaguine et Fodé. Il y avait aussi une copie de la lettre que les deux adolescents ont écrite aux dirigeants européens. J’avais entendu parler de cette lettre, mais c’est la première fois que je la lisais entièrement. J’ai eu la chair de poule. Mes larmes ont coulé. Les mots et les expressions en “français guinéen” que j’ai lu, m’ont donné l’impression de lire une lettre écrite par toute la jeunesse guinéenne des années 90-2000 qui pensait que l’Europe pouvait régler nos problèmes. Quelle naïveté!

Une d'un journal allemand.
Une d’un journal allemand conservé par la famille de Fodé Tounkara. Crédit photo : Alfa Diallo

Une mère qui peine à se remettre

A mon arrivée, M. Tounkara m’a présenté à leur mère, Dameyé Kourouma. Assise par terre sur des sacs vides, elle mettait du charbon dans de petits sacs plastiques. De son vivant, Fodé l’aidait à cueillir les feuilles de patates qu’elle vendait. Et le jour où il n’avait pas cour, il partait l’aider au marché. Depuis la mort de ce fils, elle vit un calvaire. Aller au potager, hantée par les souvenirs de son fils, est synonyme de grande tristesse. Même la simple vue de feuilles de patate lui rappelle les souvenirs. Finalement, elle s’est reconvertie dans le commerce du charbon de bois qui rapporte pourtant moins.

La mère de Fodé, Dameyé Kourouma, s’est reconvertit dans la vente de charbon de bois.
La mère de Fodé, Dameyé Kourouma, s’est reconvertit dans la vente de charbon de bois. Crédit photo : Alfa Diallo

Pourtant, après le drame, une ONG belge est venue. Elle a offert deux bourses d’études en Belgique pour deux membres de chaque famille, histoire de les aider à sortir de la pauvreté. Mais si la famille de Yaguine Koita a pu envoyer un de ses membres pour étudier en Belgique, ce n’est pas le cas de la famille Tounkara. Sékou Tounkara est formel : les deux bourses ont été détournées par des cadres guinéens. « J’ai passé deux ans, me raconte-t-il, sans étudier, à cause de ces bourses. Mais on me faisait tourner entre le ministère de la Sécurité et la direction de la Police Judiciaire. J’ai finalement laissé tomber ».

Occasion manquée

Exaspéré par la frustration et la pauvreté, M. Tounkara a décidé d’attaquer en justice la défunte compagnie Sabena. Il a été débouté. Les grands avocats de Bruxelles Airlines (qui a repris la Sabena), dont l’ancien ministre de la Justice Me Christian Sow n’ont eu aucun mal à obtenir cette victoire judiciaire.

La situation actuelle de la famille Tounkara illustre bien l’échec des différents plans de lutte contre la pauvreté dans notre pays. En 17 ans, cette famille s’est paupérisée. Mais au-delà de tout, les familles martyrs auraient dû être aidée à sortir de la misère ne serait-ce que pour le symbole.

Dans leur lettre, Yaguine et Fodé demandaient de l’aide aux dirigeants européens. « C’est pour votre solidarité et votre gentillesse que nous vous appelons au secours en Afrique. Aidez-nous, nous souffrons énormément en Afrique, aidez-nous, nous avons des problèmes et quelques manques de droits de l’enfant ». Les dirigeants européens ont fait semblant de comprendre mais, en réalité, n’ont pas beaucoup fait pour aider l’Afrique. Ils ont plutôt continué à l’exploiter. C’est sûr aujourd’hui que si Yaguine et Fodé n’avaient pas embarqué dans l’avion de la Sabena, ils seraient en train de tenter de franchir la Méditerranée. Car au fond presque rien n’a changé dans nos pays. La faute n’est pas aux Européens mais à nos dirigeants. Mais, j’ai espoir tout de même, car contrairement aux deux adolescents, la jeunesse africaine d’aujourd’hui a compris que ni l’Europe, ni l’Amérique ne viendra chasser la misère de l’Afrique à la place des Africains.