La Croix-Rouge Guinéenne, bourreau et victime d’Ebola

Article : La Croix-Rouge Guinéenne, bourreau et victime d’Ebola
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22 août 2016

La Croix-Rouge Guinéenne, bourreau et victime d’Ebola

Ce 08 mai 2016, la Croix-Rouge Guinéenne (CRG) a célébré dans la sobriété, la journée internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Le moment idéal pour revenir sur le grand et très difficile travail abattu par cette institution pour contrer l’épidémie d’Ebola et sur les conséquences néfastes de l’épidémie sur son image auprès du guinéen lambda.

Tout le monde le sait, aucune structure (étatique ou non) n’était prête en Guinée pour faire face à une épidémie comme Ebola. D’ailleurs personne n’attendait ce maudit virus dans cette partie de l’Afrique. Mais, malgré cette impréparation totale, la Croix-Rouge Guinéenne (CRG) est apparue comme la seule structure guinéenne capable d’apporter une réponse rapide à l’impitoyable virus.

Il faut reconnaître qu’en plus de 30 ans d’existence, la CRG a l’habitude des grandes épidémies. La dernière épidémie de choléra (qui a des ressemblances avec Ebola) remonte à 2012. Pour avoir participé à cette lutte de 2012 avec le comité communale de la Croix-Rouge de Dixinn (l’un des communes de Conakry touchées) et aux côtés d’Action Contre la Faim, je sais que ça n’a pas été une partie de plaisir.

C’est cette expérience acquise au fur des années qui a fait de la CRG, la cheville ouvrière de la lutte contre la nouvelle épidémie. Avec environ 2000 volontaires sur toute l’étendue du territoire national (dont la plupart sont formés en gestion de dépouilles), l’institution a pris en charge la partie la plus délicate de la lutte : la gestion des corps des personnes mortes d’Ebola.

Dans cette optique, l’organisation humanitaire a installé des « Equipes D’enterrement Sécurité » (EDS) dans tous ses comités communaux et préfectoraux. Ces équipes sont chargées de faire toutes les inhumations liées à Ebola, avec pour objectif final d’empêcher la propagation de la maladie lors des enterrements. Mais face à des populations encrées dans leur coutume et qui tiennent plus que tout à leurs rites funéraires, les agents de la CRG ont eu du mal à atteindre cet objectif. D’où la persistance de l’épidémie.

La CRG a aussi été l’un des principaux bourreaux d’Ebola en sensibilisant les populations sur la nouvelle maladie. Et, contrairement à beaucoup d’ONG qui ont avant tout vu le bénéfice financier qu’elles pouvaient tirer de leur implication dans l’information de la population, sa sensibilisation a eu de l’impact à l’intérieur du pays délaissé. Grace à ses efforts conjugués avec ceux des autres structures comme Médecins Sans Frontière et la Coordination Nationale de la Lutte Contre Ebola, l’épidémie d’Ebola a considérablement perdu du terrain. Mais à quel prix pour la CRG ?

Chargée de faire le « sale » mais nécessaire boulot, la Croix-Rouge a été traitée de tous les noms. Les rumeurs les plus folles et les plus délirantes continuent encore à circuler à son sujet. Malheureusement, l’analphabétisme de la majorité de la population et le climat de psychose et de crise de confiance entre l’Etat et les citoyens, font que de nombreux guinéens croient au sens strict du terme à ces rumeurs.

Je pense à celle ayant accusé les agents de la CRG de pulvériser le virus dans les écoles. En l’espace de quelques minutes, une grande panique s’était emparée des habitants de Conakry qui ont pris d’assaut les écoles pour retirer leurs enfants. La même rumeur a provoqué les mêmes scènes dans certaines villes de l’intérieur du pays, quelques jours plus tard. Je me rappelle avoir été une fois pris à partie dans un taxi pour avoir réfuté une rumeur accusant la Croix-Rouge d’achever les malades d’Ebola en leur coupant la tête. J’ai compris que la sévérité du virus a fait perdre la raison à beaucoup de compatriotes.

Victimes d’intoxication, certains citoyens se sont montrés violents contre les agents et les installations de la CRG. Plusieurs de ses comités préfectoraux ont été saccagés. Par exemple, un de ses agents a échappé de peu à un lynchage dans la préfecture de Forécariah. Mais cela n’a pas suffi à décourager les autres agents qui se rapprochent de plus en plus de la victoire finale contre l’épidémie.

Le gros du travail pour contrer Ebola est déjà fait par les acteurs sur place (il ne reste qu’une dizaine de cas dans tout le pays). Il est évident pour moi que la CRG n’a été remarquable dans la longue bataille contre Ebola que du fait de sa préparation à affronter tous les problèmes humanitaires probables en Guinée (Ebola exclut). Et déjà, la CRG a pris les devants en initiant, avec l’aide du Japon, la construction d’un centre permanent de formation de ses volontaires dans la lutte contre toutes les épidémies (y compris Ebola). Comme pour dire que l’institution humanitaire ne veut plus se laisser surprendre.

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